Article écrit par Adeline Faure-Quentin, Directrice de l’activité Entrepreneuriat au sein d’Oasys Consultants.

Selon Eurostat, on dénombre environ 930 000 Freelances en France, chiffre en forte hausse ces dernières années et la crise sanitaire et économique n’a pas ralenti l’attrait croissant pour cette nouvelle façon de travailler. Plus de doute : le freelancing n’est pas un simple effet de mode ! Comment expliquer le boom des indépendants ? Voici les 6 points à connaître pour comprendre le phénomène et solliciter au mieux les Freelances et consultants indépendants dans l’entreprise :

1- Le modèle du salariat ne fait plus rêver tout le monde. Le freelancing est choisi et non subi par une large majorité des travailleurs qui se sont mis à leur compte.

Les profils d’experts, les managers de transition, les cadres expérimentés qui travaillent en mode projet ou en temps partagé, sont autant de profils variés qui exercent en Freelance. Rappelons que la dénomination de Freelance, entrée dans le langage commun, n’est pas un statut juridique. C’est un mode de travail dans lequel il n’y a pas de lien de subordination, en opposition au salarié sous contrat. Un Freelance peut être micro-entrepreneur (nouveau nom des auto-entrepreneurs), en profession libérale (c’est-à-dire en entreprise individuelle), en société et même en portage salarial, si l’on souhaite conserver les avantages du statut salarial.

Le freelancing se développe ces dernières années et pas seulement sous l’impulsion de la jeune génération qui aspire à la liberté, la flexibilité, l’autonomie, le sens, la diversité davantage qu’à la stabilité, au plan de carrière et à la rémunération. De nombreux cadres expérimentés et seniors créent aussi leur propre emploi en tant qu’expert ou manager de transition. Ils aspirent aux mêmes valeurs que les plus jeunes, soucieux de fuir les contraintes des grands groupes (poids de la hiérarchie, reportings, pression du résultat, réunionites …) et veulent gérer leur vie différemment, avec plus de liberté, de temps consacré à leur famille, à leurs hobbies, … Le freelancing prend donc « en étau » deux générations, les plus jeunes et les plus âgés, mais concerne systématiquement des individus très qualifiés et autonomes.

2- Les profils Freelance se diversifient :

Ce mode de travail qui semblait réservé à quelques métiers, notamment aux créatifs et aux professionnels de l’IT et du digital, continue de s’étendre à de nombreuses fonctions. Certes, une majorité de Freelances travaillent encore dans la « Tech » (développeurs, data scientists …) et les métiers du web, du marketing, de la communication, du graphisme et de la formation sont également bien représentés. Mais pas seulement ….  De nouveaux profils d’indépendants émergent comme les influenceurs, les consultants en stratégie, les managers de transition, les experts dans des secteurs industriels très pointus (aéronautique, armement, défense…), les spécialistes de la sécurité informatique. Certains spécialistes ne travaillent d’ailleurs quasiment qu’en Freelance : experts DevOps, UX designers …

Par ailleurs, la généralisation du télétravail liée à la crise sanitaire de cette dernière année et l’accord des clients pour travailler avec un Freelance à distance ont suscité de nouvelles vocations pour ceux qui hésitaient encore à se lancer dans ce mode de travail.

3- Ce phénomène répond aux besoins actuels des entreprises. 75% des entreprises du CAC40 travaillent avec Malt, la plateforme généraliste la plus connue en France.

Dans un contexte de profonde transformation digitale qui accélère à une vitesse exponentielle ces derniers mois, les grandes entreprises font de plus en plus appel à des Freelances experts sur des métiers en pénurie et à forte valeur ajoutée (data scientists, experts du machine learning, …), ou des profils atypiques qu’elles ne possèdent pas en interne (UX designer, design thinking …). Elles recourent également à des Freelances pour des missions urgentes et ponctuelles pour toutes les fonctions support (finance, logistique …), et pas seulement en IT ou digital.

La recherche d’un bon profil est chronophage et coûteuse. Recourir à des indépendants est une façon de gérer rapidement les pics d’activité, de variabiliser les charges en fonction du volume d’activité sans les contraintes administratives liées à l’embauche d’un salarié en CDD ou CDI.

D’autre part, le travail en « mode projet » s’est généralisé dans les grands groupes et les Freelances sont maîtres dans cet art. D’où la constitution d’équipes mixtes composées de collaborateurs et de Freelances, ces derniers diffusant leurs pratiques et leur culture de l’exécution dans des délais contraints.

Plus généralement, les gros employeurs de Freelances reconnaissent qu’au-delà de leur expertise, ils facilitent le transfert de savoir-faire auprès des collaborateurs internes. Ils jouent le rôle de catalyseurs de la transformation des organisations et des formes de management. Du fait de leur capacité à multiplier en peu de temps différentes missions dans des environnements variés, ils diffusent la flexibilisation du travail, un rapport au management plus collaboratif que directif et apportent à leurs clients « best practices », innovation, nouvelles méthodologies.

4- Toute la chaîne de valeur dans l’entreprise est désormais concernée, depuis l’expert du secteur numérique jusqu’au consultant en stratégie et organisation indépendant ou le DG de transition, comme le montre la multiplication des acteurs dans ces secteurs.

Le Freelance n’est pas seulement un expert pointu qui complète ou pallie le panel de compétences au sein de l’entreprise. C’est aussi le Directeur Supply Chain, le DAF, le DRH, le CEO qui intervient en tant que manager de transition dans un moment particulier de la vie de l’entreprise (grand projet de transformation, plan social, fusion …), dans une logique de projet. A leurs compétences spécifiques, leur permettant d’être immédiatement opérationnels et d’apporter une réelle valeur ajoutée, s’ajoutent des capacités de management, une culture de résultat et … une forte adaptabilité.

Sur ce segment du management de transition haut de gamme, de nouveaux acteurs apparaissent tous les ans, des Pure Players avec des approches disruptives.

Ainsi, Martin Videlaine (ex-Roland Berger et ancien dirigeant d’entreprises) a créé en 2016 NC Partners on Demand, rebaptisé récemment BlueBirds, plateforme réunissant une communauté de 2.0000 consultants indépendants et de managers de transition à forte valeur ajoutée. Son activité connaît une croissance exponentielle. Il est persuadé que la tendance n’est pas près de s’inverser, les grandes entreprises, d’après lui, gardant moins leurs cadres de plus de 40 ans, estimés trop chers, tout en recherchant des compétences très pointues dans une logique de projet en externalisant des fonctions cadres.

5- Le marché s’organise et l’accès aux Freelances est ainsi facilité.

Plusieurs choix s’offrent à l’entreprise acheteuse de prestations intellectuelles : elle peut contractualiser soit directement avec le prestataire indépendant, que celui-ci ait une micro-entreprise, une entreprise individuelle classique ou une société, soit avec une société de portage salarial, soit avec une plateforme d’intermédiation.

D’après l’édition 2018 du baromètre des achats de prestations intellectuelles, les recommandations de clients internes sont la première méthode de sourcing de Freelances (à 74%), devant les réseaux d’acheteurs (64%) et les plateformes en ligne (35%).

Même si ce n’est pas la première source de recrutement, les plateformes d’intermédiation facilitent la connexion entre les grandes entreprises et les experts indépendants. Citons, entre autres, Malt (ex-Hopwork), la Crème de la Crème, Codeur.com, Comet, FreelanceRepublik, Graphiste.com, Freelance.com, 404Works. L’intérêt de connaître les spécificités de ces plateformes en fonction de leur mode de fonctionnement et des besoins de l’entreprise est évident.

Quant aux sociétés de management de transition, outre celle précitée, elles se multiplient mais on peut citer les trois acteurs historiques : Valtus (leader du marché français), XPM et EIM. Certaines sont adhérentes de France Transition (fédération des acteurs du management de transition).

6- Les entreprises apprennent à prendre soin de ces ressources particulières : au-delà de leur identification, il faut s’organiser pour les recruter, les gérer, les fidéliser.

Le Freelance n’est pas un fournisseur comme un autre … et il est par nature volatile. Dans certains grands groupes, il est d’ailleurs encore compliqué de recruter un Freelance en direct car la direction des achats travaille avec des entreprises prestataires référencées. L’utilisation de sociétés jouant le rôle d’intermédiaire et gérant la facturation de Freelances renchérit le coût de la prestation.

Certains acteurs (Directions Informatiques de grands groupes, agences de communication, cabinets RH, organismes de formation) ont créé un poste dédié à la gestion des Freelances, le Chief Freelance Officer qui existe parfois sous une autre appellation. Doté de compétences achats et ressources humaines, ses missions sont d’anticiper, sourcer, recruter, gérer (le contrat, les clauses de confidentialité …), organiser l’intégration et fidéliser ces ressources particulières. Dans un contexte de guerre des Talents qui sera le véritable enjeu de la sortie de crise économique, le grand défi des entreprises consistera à savoir attirer ces Freelances, les intégrer dans leurs équipes internes et fidéliser les meilleurs.

 

Ainsi, le boom du Freelancing s’explique par la rencontre entre de nouvelles aspirations d’experts et managers, de plus en plus nombreux à faire le choix de l’autonomie et de la flexibilité, et les besoins des entreprises qui ont compris tous les avantages à ouvrir leur organisation à ces compétences externes. Réussir ce défi accélérera la mutation managériale et digitale des organisations, dont les indépendants sont un fer de lance, tendance qui s’accentuera dans les années à venir. Reste un sujet de taille: celui du droit du travail et sa difficile adaptation à un monde et des aspirations qui changent tellement vite …

 

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