Retrouvez l’expertise de Karine Lair, Directrice Générale d’Oasys Dirigeants, publiée sur GPO Mag.
Alors même que la Loi Rixain* trouve sa pleine application depuis maintenant plus d’un an et qu’un grand nombre d’entreprises se dirigent vers les quotas prévus (30% de femmes dirigeantes d’ici 2027 et 40% d’ici 2030 pour les sociétés de plus de 1000 salariés), il est possible de commencer à observer ces nouvelles dirigeantes qui arrivent aux commandes.
Même s’il n’a pas fallu attendre cette loi pour voir les gouvernances se féminiser, force est de constater que les femmes dirigeantes étaient très peu nombreuses. Issues de Grandes Écoles, discrètes, elles ont dû entrer dans un monde d’hommes et vêtir un masque social attendu dans cet univers de l’entre-soi. Certaines ont tenté de hisser avec elles d’autres femmes. D’autres occupées voire préoccupées par la difficile compétition – rappelons que les places étaient rares – ont surtout essayé d’obtenir et garder leur place. Comment leur en vouloir !
Mais les temps changent. En tout cas, ils vont changer car pour l’instant, si nous observons les plus hauts niveaux de gouvernance dans les plus grands groupes, il n’existe que 3 femmes Directrice générale dans le CAC40 (Catherine MacGregor, chez Engie, Christel Heydemann chez Orange et Estelle Brachlianoff chez Veolia) et aucune n’est PDG.
Ces femmes qui arrivent en tant que dirigeantes dans les comités exécutifs et comités de direction vont-elles ressembler à leurs homologues masculins ? Ont-elles des caractéristiques différentes ? Vont-elles exercer le pouvoir de la même manière ? Qu’est-ce qu’on peut finalement en attendre ?
Des entrepreneuses de petites structures et des cadres supérieures prudentes
La place des dirigeantes est aujourd’hui inégale tant dans la taille des entreprises, les secteurs d’activité que les régions géographiques. Ces disparités vont certainement perdurer.
Les dirigeantes sont d’abord des entrepreneuses (entrepreneuses individuelles, auto-entrepreneuses) qui créent surtout leur poste de travail. Devenir son propre patron, c’est la possibilité de s’organiser avec des horaires plus souples et ainsi gérer ses responsabilités familiales comme professionnelles.
Cependant, cela demande une petite structure, souple, avec peu d’employés et peu de potentiel de développement au risque de rendre rapidement la dirigeante débordée. Elles dirigent des entreprises issues des secteurs dans lesquelles elles sont formées et ont tenu des métiers (services aux particuliers, santé, …). Elles ont créé leur activité ou ont repris l’entreprise dans laquelle elles étaient salariées. Plus les entreprises sont grandes et moins elles sont représentées.
En effet, ces femmes ne sont pas concernées par la Loi Rixain mais plutôt par les politiques des gouvernements pour le soutien de l’entrepreneuriat qui s’est beaucoup développées ces dernières années. Les femmes concernées par la Loi sont aujourd’hui des cadres supérieurs très qualifiées.
Au regard des dernières nominations telles Agathe Monpays, DG de Leroy Merlin France, il semble qu’elles sont plutôt jeunes, venant d’écoles de commerce ou grandes écoles. Elles font partie d’une génération où les parents les ont autorisées à exprimer leurs aspirations. Pour elles, même si elles disposent de peu de rôle model, il existe une certaine logique à ce que les arcanes du pouvoir s’ouvrent pour les femmes mais paradoxalement ne se précipitent pas sur ces postes, privilégiant la recherche de sens et l’équilibre de vie.
Un pouvoir relatif
Il faut savoir que toutes les places autour d’une table de Comex ou de Codir ne se valent pas en termes de pouvoir. En effet, il existe, bien entendu, la présidence et la direction générale qui parfois peuvent être le même poste. Ces postes sont ceux qui détiennent le plus de pouvoir. Celui qui le détient détermine comment il va exercer le pouvoir et la façon dont il va prendre ses décisions : dans la concertation de son comité, après avoir consulté, ou de manière unilatérale. Il représente le pouvoir stratégique et la responsabilité de sa déclinaison opérationnelle.
Quant aux autres postes, il faut savoir que ce sont les postes des opérationnels, ceux du cœur de métier qui vont représenter les poids les plus forts, à la fois dans la nature des décisions prises mais aussi dans la représentation symbolique. Dans certains secteurs d’activité, ils sont en ballotage avec la fonction commerciale. C’est aussi de ces fonctions que sont issus ceux qui un jour tiendront les rênes des Comex et Codir.
Les femmes, du fait de leurs études et leur orientation professionnelle, tiennent plus souvent les fonctions de DRH, Direction de la communication et/ou marketing, Direction juridique. Ces fonctions sont rarement des viviers de PDG ou DG. Elles sont dites « support » et relationnelles. Toutes deux par analogie peuvent se rapprocher de fonctions « maternantes ». Les gouvernances vont donc se féminiser en nombre absolu mais non en nombre relatif en termes de pouvoir.
Un procès illégitime
Si les quotas ont déjà prouvé leur efficacité, ils traînent avec eux des possibles procès en illégitimité. Tout en étant davantage diplômées du Supérieur que les hommes puisque plus de la moitié, 54 % des jeunes femmes sont diplômées de l’enseignement supérieur contre 43 % des jeunes hommes, il est nouveau que les femmes arrivent à plusieurs dans les gouvernances. Il va de soi que, si c’est le cas, c’est que certains profils d’hommes compétents ont été sciemment écartés ; c’est la conséquence des quotas. Parce que les biais cognitifs de sélection d’hommes plutôt que de femmes sont inconscients, ces biais sont davantage pardonnés qu’une politique de quota volontariste qui vise au rééquilibrage.
Certaines femmes n’ont pas été préparées, ni par leur entreprise, ni par la société, à la tenue de ces postes. Malgré leurs compétences et leurs aptitudes, il se peut que certains codes ne leur soient pas encore acquis. Ainsi, les sujets d’alliance et de sens politique par exemple, se forment généralement au plus haut niveau de la hiérarchie. Il s’agit de tisser un réseau de partenaires dans lequel des alliances et entre-aides peuvent se nouer au profit d’objectifs communs. Il s’agit d’exercer un pouvoir d’influence qui peut sembler superficiel et hypocrite pour des femmes de terrain préoccupées des réalités. Cependant, elles vont devoir les acquérir pour exercer le pouvoir.
Les femmes d’ailleurs, ne sont pas les dernières à nourrir ce procès en illégitimité. En effet, le syndrome de l’imposteur qui, en psychologie, est le phénomène qui conduit à penser que notre réussite est le fait du hasard et de la chance et qu’à n’importe quel moment notre imposture peut être révélée, est statistiquement plus fréquent chez les femmes que chez les hommes. 72% d’entre elles l’ont ressenti au travail contre 46% d’hommes selon une étude anglaise. Généralement, elles expriment plus souvent ce doute et se posent plus souvent des questions que les hommes.
Ces particularités vont encore les différencier des hommes pendant quelques années, le temps de l’évolution sociétale.
Une pluralité de leadership
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