Le sexisme est un fait global et sociétal, et la France est en retard dessus
Psychologue social au sein de l’IAPR, Groupe Oasys & Cie, Alexandre Perraudin présente son travail et fait un état des lieux des agissements sexistes, notamment au travail.
Un article publié dans “Les affiches Parisiennes” le mardi 2 avril 2024 et écrit par Maxime MONNIOTTE.
L’Institut d’accompagnement psychologique et de ressources (IAPR) intervient depuis plus de 20 ans pour proposer des démarches de prévention des risques professionnels via un accompagnement psychologique global pour améliorer le bien-être au travail et ainsi réduire les risques psychosociaux.
Psychologue spécialisé sur les interactions, les comportements les attitudes et la cognition des individus aux prises avec des situations sociales, mais aussi consultant et formateur au sein de l’IAPR, Alexandre Perraudin livre les grandes lignes de son travail. Il revient également sur les agissements sexistes en France, notamment au travail, dénonçant “un retard” sur ce sujet dans l’Hexagone.
Ses réponses font d’ailleurs écho, au dernier rapport sur la situation du sexisme en France du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, récemment dévoilé. Il avait montré que “le sexisme reste prégnant, s’aggravant même d’une année sur l’autre dans certaines catégories de population” et qu’il faut “le combattre, là où il nait“, c’est-à-dire au sein des familles, de l’école et du numérique, qui sont “les trois incubateurs qui inoculent le sexisme aux enfants dès le plus jeune âge“.
Affiches Parisiennes : Pouvez-vous nous présenter l’Institut d’accompagnement psychologique et de ressources (IAPR) ?
Alexandre Perraudin : De base, l’IAPR est une association fondée en 2000 par la RATP et la GMF. Elle visait à proposer un soutien psychologique aux agents de la RATP qui pouvaient, au sein de leur quotidien de travail, être confrontés à des événements potentiellement traumatiques, stressants, ou encore violents. En 2016, l’IAPR a été racheté et a intégré un plus grand groupe, Oasys. L’IAPR est aujourd’hui un cabinet de conseil en prévention des risques psychosociaux qui en accompagne les entreprises sur leur politique de qualité de vie et conditions de travail.
Personnellement, je suis consultant et formateur, spécialisé dans la formation. J’interviens dans les entreprises pour former les acteurs de l’entreprise – dirigeants, managers, élus, RH -, et pour les sensibiliser, les outiller et leur permettre de mieux réguler les risques psychosociaux. L’objectif est de repenser la politique de qualité de vie et de condition de travail, afin que les entreprises préservent et soutiennent le rapport sain au travail de leurs salariés et qu’elles préviennent des risques qui pourraient atteindre leur santé physique, mentale ou sociale. Au-delà de la formation, avec mes collègues de l’IAPR, nous intervenons sur les trois champs de la prévention des risques psychosociaux.
Quels sont ces trois champs ?
Le premier champ est la prévention dite primaire. Nous accompagnons les entreprises dans l’évaluation de leurs risques, en proposant un état des lieux de leurs équipes, montrant notamment les faits qui peuvent porter atteinte à la santé psychologique et physique de leurs salariés.
La prévention secondaire consiste à outiller les acteurs de l’entreprise face à ces risques qui peuvent advenir, ou à ces situations de travail qui peuvent être difficiles à vivre.
Enfin, la prévention tertiaire se charge de réguler les conséquences de ces risques. Dans ce cas de figure, nous apportons un soutien aux salariés, aux employés, aux acteurs de l’entreprise en général, sur la question des risques psychosociaux.
Dans le cadre de votre travail, vous intervenez pour des cas de sexisme. Quelle est la définition d’agissements sexistes ?
Le sexisme est d’abord une attitude discriminatoire, qui consiste à faire la différence entre deux sexes, en se positionnant et en engageant un rapport avec une autre personne au prisme de son identité de genre, de sexe ou de son orientation sexuelle. L’agissement sexiste découle de cette interaction par stéréotype. Il est finalement l’incarnation des stéréotypes activés par le genre, par le sexe, par l’orientation sexuelle, et s’incarne dans des actes. La plupart du temps, l’agissement sexiste, qui est discriminant, à tendance à dégrader le rapport au travail des individus qui en sont victimes.
Avez-vous quelques exemples à nous donner ?
Nous pouvons distinguer trois types de sexisme qui s’installent au travail. Dans la société, en général, il y a le sexisme hostile, qui est orienté pour atteindre et nuire. Il s’incarne par des blagues, du sarcasme qui vise à diminuer l’autre. Ensuite, il y a le sexisme masqué, qui ne se veut pas conscient ou en tout cas ne s’assume pas. Ce dernier se matérialise dans la manière de s’adresser à l’autre, en le diminuant, par son identité de genre ou son orientation sexuelle. Enfin, nous avons le sexisme bienveillant, qui est le plus prédominant dans les entreprises, mais aussi dans la société. Il se caractérise par la manière dont une personne s’adresse à une autre sous le prisme de la bienveillance avec des gestes et des services qui l’enferment dans son identité de genre, dans son identité sexuelle ou dans son orientation sexuelle.
Que dit la loi sur les agissements sexistes ?
La loi demande à l’employeur de protéger ses salariés contre toute atteinte à leur santé physique et mentale. De cette obligation vient en résonance une seconde obligation, qui est pour chaque travailleur, conformément aux dispositions qui sont données par la loi, et par l’employeur, de protéger sa santé et de protéger celle d’autrui. C’’est une obligation de base qui s’incarne ensuite par des mesures.
Du point de vue des agissements sexistes à proprement parlé, la loi dit que tout agissement lié au sexe d’une personne, à son identité de genre ou son orientation sexuelle, qui a pour effet de dégrader les conditions de travail, doit être proscrit dans le cadre du travail.
Dans le Code du travail, un autre article est récemment arrivé, parlant de l’outrage sexiste. Ce texte indique qu’à la suite d’un agissement sexiste – blagues, propos à connotation, drague lourde, etc. -, un employé peut attaquer l’auteur des propos, voire même son employeur, s’il n’a pas respecté son devoir de protection.
Où en est la France, au niveau du sexisme ?
Le sexisme est un fait global et sociétal, qui ne touche pas que l’entreprise et en France, nous sommes en retard sur le sujet. Nous le constatons, tout simplement, en se positionnant par rapport à d’autres pays qui sont plus en avance dans le système éducatif, dans la sensibilisation, ou encore dans la déconstruction des stéréotypes. Nous sommes aussi en retard dans la libération de la parole par rapport aux agissements sexistes. Aujourd’hui encore, beaucoup trop de femmes ou d’hommes sont confrontés à des comportements à caractère sexiste au travail, mais n’en parlent pas. La France est également en retard par rapport à d’autres pays, vis-à-vis des valeurs morales, de respect, de mérites et de progressions que nous voulons porter, notamment dans le cadre de travail. Il arrive encore trop souvent, dans les entreprises, qu’une personne soit ramenée à sa condition de sexe ou d’orientation sexuelle et que cet aspect l’empêche d’évoluer sereinement dans son milieu professionnel.
Que peuvent faire les entreprises pour stopper ce sexisme et avancer dans la bonne direction ?
C’est là toute la difficulté à relever dans ce défi. Les entreprises ne peuvent rien contre le sexisme. Il est inné au fonctionnement par stéréotype qui est présent chez chaque individu et donne du préjugé. Mais au travail, nous devons casser et annuler les préjugés, pour se concentrer et agir avec ses collaborateurs en se basant simplement sur le fait que ce soit notre collègue, et non un homme ou une femme, hétérosexuel, homosexuel ou d’une autre orientation sexuelle.
De son côté, l’entreprise peut agir sur les agissements sexistes, en mettant en place un cadre de travail et en rappelant les règles en cas de dérive. L’employeur, en fonction de son domaine d’activité, de son secteur, de ses métiers, doit prendre des mesures et se demander comment agir pour protéger ses collaborateurs, en suivant les trois champs de prévention.
D’ailleurs, aujourd’hui, il y a une obligation d’avoir des référents harcèlements sexuels au travail. Une personne qui subit deux agissements sexistes dans son milieu de travail peut signaler un harcèlement sexuel. Le harcèlement sexuel se base sur la répétition d’agissements sexistes ou à la pression à l’acte sexuel dans le cadre du travail. De ce point de vue, l’employeur a une obligation, à partir de plus de 150 salariés, de proposer un référent harcèlement sexuel. Ce référent harcèlement devra mettre au point, accompagné par l’employeur, un process de remonter des signalements pour harcèlement sexuel et tout simplement aussi, il peut s’élargir à des agissements sexistes pour combattre ces agissements sexistes au sein de l’entreprise. L’entreprise a également des obligations de mener des enquêtes à la suite de signalements. Elle doit prendre ses responsabilités avec des sanctions pour lutter contre les agissements sexistes. L’employeur a l’obligation de proposer des conditions saines de travail.
Comment recevoir la parole d’une personne victime de sexisme ?
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