Interview de Karine LAIR, DGA d’Oasys, dans Cadre Averti.fr
Âge de départ, pénibilité, régimes spéciaux… Alors qu’on discute de l’allongement de la durée de cotisation, la trajectoire des seniors sur le marché du travail est parfois marquée par de multiples obstacles. Cette semaine Cadre Averti revient sur leur situation avec Karine Lair, directrice générale adjointe du cabinet Oasys, qui accompagne les personnes et les entreprises dans leurs transitions.
Cadre Averti : Depuis le 1er novembre 2019, tous les chômeurs qui percevaient plus de 4 500 € brut de salaire mensuel verront leur indemnité réduite de 30% à partir du septième mois. Cette mesure cible les cadres, dont le marché du travail se porte bien, avec un chômage en dessous des 4%. Mais tous les cadres sont-ils égaux sur le marché de l’emploi ?
Karine LAIR : Il est vrai que le marché de l’emploi des cadres se porte bien avec un quasi plein emploi mais il masque d’importantes disparités et des réalités différentes.
Il existe des métiers pénuriques comme les informaticiens, les commerciaux, … et des compétences très recherchées en digitalisation, cybersécurité, … Pour ces profils de cadres, souvent de moins de 40 ans, le marché est excellent et ils sont en position de force.
Ce n’est pas le cas, des métiers dits « Support » qui ont été pléthoriques dans les entreprises ces derniers années (rh, communication, finance, …) et qui subissent des restructurations, ainsi que certains secteurs d’activité comme la pharmaceutique, le retail, la banque, … Ces métiers et environnements sont touchés de plein fouet par des transformations profondes liées aux modifications des modes de consommation, des usages et à la digitalisation.
Ces cadres sont contraints de se réinventer sur un marché de l’emploi qui ne les attend pas et cela peut prendre du temps avec des réorientations professionnelles voire des reconversions totales.
Par ailleurs, au-delà du métier et des secteurs d’activité, si le taux de chômage est élevé pour les jeunes non-cadres, c’est l’inverse pour les cadres. Ce sont les seniors qui sont les plus concernés par la difficulté de repositionnement professionnel après un licenciement.
Les chasseurs de tête et cabinets de recrutement que nous avons interrogés pour mener l’année dernière, la 4ème édition de notre étude sur les pratiques des recruteurs (*) indiquent que pour 75% de leurs missions, l’âge est un critère pour leur client décisionnaire.
A cela, il faut également ajouter les délais de processus de recrutement qui sont souvent des courses de fond pour les cadres. Les organisations sont de plus en plus complexes, matricielles, internationales et les nombres d’entretiens de recrutement pour aboutir à une décision sur un poste ont explosé ces dernières années.
La mesure de dégressivité de 30% de l’allocation chômage de ces cadres à partir du 7ème mois d’indemnisation est une réelle méconnaissance des réalités du marché de l’emploi.
La dégressivité des allocations chômage avait été abandonnée en 2002 car les études montraient qu’elle n’avait pas d’impact sur le délai de retour à l’emploi. Il est donc étonnant de la voir resurgir à l’aube de 2020 et cette fois-ci, exclusivement pour la catégorie des cadres, comme s’il s’agissait de privilégiés. C’est loin d’être le cas pour ces cadres qui sont souvent issus de la méritocratie (12% des cadres franciliens sont au mieux titulaires du Bac**) et qui se sont pleinement et longtemps investis dans leur entreprise.
Cadre Averti : Beaucoup d’entreprises poussent vers la sortie leurs salariés âgés, notamment les cadres qui ont des bons salaires, l’argent est-il le seul déterminant ?
Karine LAIR : Les préjugés sur cette population persistent. Ils sont parfois considérés comme chers, peu adaptables, sans la maitrise de l’anglais ou des outils digitaux, etc.
Ceci est souvent injuste. Les cadres ont récupéré leur retard sur ces compétences il y a maintenant un certain temps et ont pris conscience de la nécessité de faire grandir leur employabilité au fil du temps.
Il faut aussi noter que ce ne sont pas toujours les entreprises qui souhaitent se séparer de leurs cadres les plus âgés. Les DRH de grands groupes sont sollicités par des cadres seniors qui demandent des ruptures conventionnelles. Ils ont été habitués aux mesures de pré-retraite « maison » qui n’existent plus et considèrent que c’est un moyen d’arrêter leur activité de manière anticipée. Cela devient une prise de risque importante pour eux au regard des dernières réformes sur le rallongement des durées de vie professionnelle et cela n’est pas toujours un bon calcul s’il n’y pas une idée d’un nouveau projet professionnel derrière.
Cadre Averti : À quel âge est-on senior ?
Karine LAIR : Dans le cadre de GPEC (Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences), le législateur a fixé l’âge des mesures des seniors à 45 ans. Notre étude sur les pratiques de recrutement * confirme que c’est également l’âge charnière pour les recruteurs.
Cependant, là encore il y a des disparités car il y a des métiers où il fait « bon vieillir » comme les consultants, les juristes, … et d’autres pour lesquels, on est senior bien jeune, comme la communication, le marketing, …
C’est donc à partir de 45 ans qu’il faut se poser la question de sa seconde partie de carrière. L’application digitale Mon CPF (Compte Personnel de Formation) issue de la réforme de la formation professionnelle rend plus accessible la possibilité de bénéficier d’un bilan de compétences pour entamer une démarche de réflexion sur la suite de son parcours professionnel, le développement de ses compétences et les besoins du marché à terme.