Vers un renforcement des compétences
Éric Lhomme, directeur des activités conseil en stratégie et développement RH chez OasYs Mobilisation, répond à News Tank – 4 Juin 2020.
Sur quelles problématiques, les entreprises vous sollicitent-elles depuis le déconfinement ?
Pour nos clients, majoritairement dans le tertiaire, le retour au travail est progressif et en alternance jusqu’en septembre 2020.
Ils nous sollicitent sur quatre points :
- La poursuite des projets envisagés avant le confinement, comme des démarches compétences ou des réflexions sur des modes de fonctionnement ;
- La capitalisation sur le télétravail avec une tentation de l’élargir ;
- Des outplacements individuels et collectifs dans le cadre de projet de restructuration définis, encore, avant la crise.
- Des projets de formation en management et les projets de conduite du changement qui se font en distanciel
Comment capitaliser sur le télétravail qui a été testé grandeur nature ?
Les perspectives peuvent être doubles :
- soit nous allons vers un dispositif plus équilibré en précisant le nombre de jours en télétravail et en distanciel,
- soit nous allons vers un télétravail plus important. Et dans ce cas, au-delà des questions organisationnelles certains s’interrogent sur les compétences qui seront à développer pour bien fonctionner dans ce nouveau cadre. Dans la pratique du télétravail, la capacité d’auto-organisation, l’autonomie et une base technique solide sont particulièrement sollicitées. Pour certains, il leur est important de faire évoluer les procédures de recrutement pour bien intégrer cette dimension.
Les entreprises ont-t-elles entrepris également une réflexion sur la réduction de leur superficie ?
Cette réflexion sur l’empreinte immobilière avait commencé bien avant. Les grèves des transports en fin d’année 2019 ont induit une première expérimentation du télétravail qui avait ouvert la réflexion. Aujourd’hui l’open-space classique a en effet du mal à fonctionner dans un système où le Covid-19 est encore présent et la distanciation sociale est la règle. Par ailleurs pour une partie de la population, le télétravail répond à des problématiques de temps gagné dans les transports, de meilleure autonomie dans l’organisation de son temps. Il y a une demande sociale qui fait que nous pouvons trouver un équilibre entre les attentes des entreprises et des collaborateurs.
Le télétravail a été massif et subi, lié à une contrainte externe. Pour le stabiliser, le pérenniser à grande échelle, Il y aura forcément une logique de volontariat et une négociation pour la mise en place d’un dispositif équilibré et aussi de la disposition du matériel adéquat pour bien télétravailler.
Avez-vous des demandes de vos clients sur le renforcement du management à distance suite à ce télétravail massif ?
Nous avons en effet des demandes dans ce sens-là avec l’articulation du temps à distance et en présentiel. Le jour de présence au bureau doit apporter une valeur ajoutée.
Dans le cadre du travail à domicile, la dynamique du collectif peut disparaître sans animation du management. Il faut recréer des rites individuels et collectifs qui permettent de donner du sens au travail et apporter un soutien social.
De façon générale, le renforcement managérial se fait par des formations aux outils numériques mais surtout aux postures et softskills (l’entretien à distance, animer à distance, mobiliser à distance, prévenir les RPS et identifier les salariés en souffrance et isolement…)
Quels sont les retours sur les relations sociales depuis cette crise sanitaire et avec les plans sociaux à venir ?
Il faut distinguer 2 phases :
- celle d’un dialogue social de gestion de crise qui a été essentiel pour mettre en place des conditions de travail en toute sécurité avec des accords autour du temps de travail et de la continuité de l’activité,
- celle des questions de l’emploi et de la survie de l’entreprise qui commence. Et là encore, le dialogue social reste le seul levier possible. Les accords de performance collective, par exemple, ne peuvent être négociés sans un bon dialogue social. Beaucoup de leviers sont disponibles mais il faut que le dialogue social soit riche afin de trouver ensemble des solutions temporaires pour permettre à l’entreprise de passer le cap.
Vous évoquez les plans de transformation des entreprises à venir. Selon vos retours, la tendance est-elle le PSE ou l’accord de performance collective ?
Nous constatons des questionnements sur ce sujet mais je ne peux pas vous donner une tendance. Tout dépendra de la situation de l’entreprise avant et après le confinement. Le PSE est une mesure ultime dans notre droit français. Les entreprises y ont recours quand elles n’ont pas d’autres moyens. Un accord de performance collective peut en effet diminuer l’impact sur l’emploi en jouant sur d’autres leviers. Cela signifie que l’entreprise peut envisager une reprise économique.
Comment allez-vous accompagner les entreprises dans leur phase de transformation ?
Si la question de l’emploi est au cœur de leur problématique une phase d’ingénierie sociale sera à monter en amont pour déterminer la meilleure formule pour gérer les conséquences de la crise sanitaire. Ensuite, des dispositifs d’accompagnement des salariés vers une mobilité seront à proposer. La problématique sera compliquée car avec un chômage massif, le nombre d’emplois ne sera pas forcément au rendez-vous. Mais nous avons une expérience assez forte sur la gestion sociale de la crise.
Si la situation est plus stable, la capitalisation de ce que l’on a su développer dans la période de confinement sera essentielle. Avec la crise , des nouvelles façons de fonctionner, de manager ont été mises en place au bénéfice de tous. Des souplesses ont été apportées. Des valorisations différentes des métiers sont apparues. Consolider ces bonnes pratiques sera un facteur accélérateur du rebond.
Vous avez été nommé en juillet 2019 pour développer les activités de conseil RH dans les domaines de l’efficience des politiques et des organisations RH, de la GPEC, du pilotage des compétences et de l’employabilité… Quelles seront les évolutions post-crise ?
Le télétravail va modifier fortement l’organisation du travail. Je ne vois pas un retour en arrière pour cette pratique. Il y aura forcément des transformations sur ce sujet.
Le télétravail réinterroge le manager et ses pratiques. Comment il crée du lien avec des salariés qui sont dans et à l’extérieur de l’entreprise. Les trois unités de temps, de management et de lieu qui caractérisaient l’entreprise sont en train de se fragmenter et cela aura des incidences. Le temps devient plus complexe car la vie professionnelle est mélangée à la vie personnelle. Le lieu de travail peut être multiple et le management se transforme avec un collectif plus éclaté. La question du maintien de l’engagement sera aussi devant nous. L’organisation du travail est en plein mouvement et cela risque de changer beaucoup de choses dans les rapports sociaux et les relations sociales avec un collectif dispersé.
Une réflexion sur les compétences sera également nécessaire à court ou moyen terme. Nous voyons bien que les qualités individuelles sont clés dans l’incertitude vis-à-vis de l’emploi, de la sécurité au travail. Avec la crise nous avons pu constater que les softskills mais aussi les compétences techniques sont essentielles car la réponse immédiate aux questions/problèmes rencontrés ne peut plus être donnée par les collègues ou le manager. Nous allons donc être confrontés au renforcement des compétences sur trois problématiques :
- les soft skills,
- les métiers,
- le numérique, notamment l’aisance à naviguer entre les outils.
La GPEC peut répondre à ce besoin. Mais c’est un outil qui permet de gérer des dispositifs en douceur sur plusieurs années et pas dans l’urgence. Je ne pourrai pas vous dire si elle sera relancée.