Humilité, vous avez dit « Humilité », … comme c’est bizarre !
Notre temps et nos mœurs nous renvoient souvent l’image d’une société, celle à laquelle nous appartenons, très centrée sur l’Ego et le narcissisme. Il n’est qu’à voir la croissance du nombre de selfies dans le monde. En Aout 2017, la presse nous révélait que 1000 selfies étaient pris chaque seconde dans le monde. A combien sommes-nous aujourd’hui ?
D’ailleurs la question de l’Ego se pose à chaque instant. Serge Marquis nous la posait dans son excellent roman, « Le jour où je me suis aimé pour de vrai », à travers Charlot, « Petit Prince » et fils de Maryse, éminente neuropédiatre renommée et très fière, qui pose la question à sa maman « Dis maman c’est quoi l’Ego ».
L’humilité a comme racine étymologique « Humus » la terre, la même racine que « homme » d’ailleurs. Un homme humble serait donc un pléonasme. La réalité semble nous démontrer le contraire. Et l’entreprise, reflet quasi parfait de notre Société, de ses forces et de ses errements n’est pas en reste.
Dans sa dernière livraison 2019 de l’Observatoire du Management© publié par Oasys Mobilisation, nous apprenons que si 67% des managers ont évolué vers des méthodes plus collaboratives, ils ne sont que 44 % des collaborateurs à faire le même constat. Un écart de 23% qui confirme, s’il en était besoin, que l’Ego est encore à l’œuvre dans de nombreuses entreprises. L’entreprise, comme notre société, n’a pas encore vraiment laissé sa place à l’humilité managériale. On trouve dans cet Observatoire un autre exemple de cette humilité à atteindre. Si 91% des managers estiment être de bons managers, la même question posée aux collaborateurs renvoie à 63% qui estiment leur manager bon. 28 points d’écart de perception à combler.
Attention cependant à ne pas généraliser outre-mesure, car il existe de nombreux endroits où cette humilité prend racine et permet de développer une performance collective et une adhésion individuelle bien plus forte.
Alors, c’est quoi l’humilité managériale ?
De nombreux managers oublient qu’en tant que leaders entourés de leur équipe, ils représentent un potentiel de performance, alors que seuls, sans collectif construit autour d’eux, ils ne sont qu’une ligne de coût supplémentaire sur le compte de résultats. Le pouvoir entraîne souvent les managers à se concentrer sur le résultat et le contrôle ; ce faisant, ils génèrent des peurs … du résultat, du bonus, de l’échec,etc. Cela, in fine, empêche les membres du collectif de ressentir des émotions positives qui sont nécessaires à l’expression de l’expérimentation et donc de l’apprentissage.
Le rôle central d’un leader est de permettre à ses équipes de grandir, d’apprendre et d’avoir envie de donner le meilleur d’elles-mêmes. C’est ce que nous dit Dan Cable dans son désormais célèbre « Alive at work ». Il y développe la notion des leaders-serviteurs. Cette notion a été, à l’origine, introduite en 1970 par K. Greenleaf. Elle s’opposait au modèle de Leadership de Thomas Carlyle (1840), longtemps en vogue, et que l’on a appelé « La Théorie du Grand Homme ».
Un leader-serviteur (servant leader) se concentre d’abord sur le besoin des autres et de ses équipes avant que de considérer ses propres besoins. Il donne le support nécessaire pour permettre aux autres d’atteindre leurs propres objectifs, il implique son équipe dans les décisions et crée un esprit de communauté au sein de cette équipe. Ces équipes sont souvent à l’origine de nombreuses innovations.
Leader-serviteur n’est pas, à proprement parler, un style de management, c’est plutôt un mode comportemental qui s’inscrit dans le temps.
J’ai bien conscience, en posant ces mots, de l’incongruité de ceux-ci pour un certain nombre de managers. Pour beaucoup nous assimilons ce mot de serviteur, non pas à humilité mais à humilié.
Le leader-serviteur est au service de son équipe ; il a l’humilité de faire confiance à l’expertise de ceux qui ont moins d’autorité. Le leader-serviteur sait que son rôle de dirigeant est de favoriser l’appropriation, autonomiser ses équipes et responsabiliser ceux qui ont envie de suivre.
Le leader-serviteur ne dit pas à ses équipes comment mieux faire leur travail, il leur demande comment il peut les aider à mieux faire leur travail. Car ce sont les équipes qui savent ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas. Le leader-serviteur a conscience de la vraie valeur de ceux dont il a la charge. Dan Cable rajoute « les leaders-serviteurs se comportent comme de meilleurs êtres humains ».
Ceci posé, la question qui vient désormais à l’esprit de nombre d’entre nous est « Comment on fait ? »
Le long chemin vers un peu plus d’humilité.
Il y a beaucoup de voie d’entrée vers le « un peu plus d’humilité ». Un excellent résumé se retrouve dans un conte « Le chevalier à l’armure rouillée » que je recommande souvent aux dirigeants et équipes que j’accompagne.
Dans tous ces chemins, nous retrouvons quelques points communs incontournables :
- La capacité à reconnaître ses forces et ses faiblesses à leur juste niveau. Ne pas surestimer certaines et en sous-estimer d’autres. Pour cela l’accueil positif des critiques et des remarques de l’autre est une clé centrale. Nous oublions souvent le cadeau que l’autre nous fait en nous donnant un feed-back sur nos propres comportements. Le mode d’expression de ce feed-back, ce que nous percevons ou plutôt que notre Ego perçoit, comme direct ou trop violent ne nous appartient pas et nous ne pouvons rien y faire. Le leader-serviteur sait que ce retour est un cadeau et ne laisse pas son égo gâcher ce cadeau.
- Le leader-serviteur apprend de ses échecs, même quand les échecs sont soulignés par ceux dont il a la charge. Ce sont eux qui savent mieux ; leur retour est donc empreint de réalisme. Serait-ce une fois de plus notre Ego qui nous empêche d’entendre ce constat d’échec de la part de ceux qui « sont en dessous » ? Ce faisant le leader-serviteur met en évidence les mérites de ses collaborateurs et développe le faire confiance, la motivation et la délégation.
- Le leader-serviteur sait que son meilleur lieu d’apprentissage est au cœur de ses équipes. Il les écoute, les remercie et sait même dire pardon quand cela est nécessaire.
En quelques mots nous pourrions dire que l’humilité ne mine pas l’autorité, elle la renforce.
En posant ici la conclusion de mon propos, je ne peux m’empêcher de me rappeler Voltaire qui disait que « l’humilité est un sentiment de l’imperfection de notre être ». J’ai bien conscience ici de la difficulté de ce chemin pour beaucoup d’entre nous. Nous évoluons dans un monde baigné de perfection, depuis le 20/20 de l’école jusqu’au dogme de l’objectif à 100%. Alors que nous savons tous que cette perfection n’existe que dans les rêves les plus impossibles.
Le leader-serviteur est donc à l’aise avec l’idée de ne pas être parfait et surtout de ne pas chercher à l’être. Si nous ne le faisons pas pour nous, essayons tout de même de le faire pour nos équipes, qui sauront nous faire le cadeau de nous dire « Merci ».
Directeur de projet